Mademoiselle aime


Les Demoiselles de Jourdain

Confinement oblige, nos déplacements sont limités en distance… Qu’à cela ne tienne, à défaut de voyager physiquement loin, voyageons poétiquement loin. Les murs du quartier, habillés par de nombreux artistes, n’en finissent pas de nous offrir des parenthèses enchantées. Cette fois, c’est dans l’atelier de Mariane Mazel, installée depuis cinq ans au cœur du Village Jourdain, comme le nomment amoureusement ses habitants, que nous ont mené les collages de Demoiselle MM.

asaé : Mariane, quel est ton parcours ?

Mariane : Je suis autodidacte, je peins depuis que j’ai 8 ans. Enfant, j’étais fascinée par les œuvres de Gauguin que j’ai toutes reproduites. Après le bac, je suis passée par les Beaux-Arts de Marseille avant de m’embarquer pour un tour d’Europe d’une année avec un ami peintre. On croquait les gens dans la rue, on a fait des performances pendant des concerts… J’ai ensuite passé 4 ans en Corse. L’île présente de grandes falaises rocheuses. Là-bas, j’ai eu un déclic qui a influencé mon travail actuel avec les Demoiselles. Dans les rochers, je voyais des visages, des personnages longilignes. J’en ai fait des croquis. C’est comme cela que j’ai trouvé mon trait, mon style.

asaé : Quelles sont tes influences et d’où te vient ton inspiration ?

Mariane : L’Art nouveau, Klimt, Schiele. Je m’intéresse aux cultures, aux civilisations. Je suis attirée par les costumes traditionnels, les drapés, les masques, les coiffes. On décèle dans mes Demoiselles des influences du carnaval de Venise, du style japonisant. J’admire la subtilité, la délicatesse des tracés japonais. Et j’ai, du côté paternel des ancêtres polonais, je pense que cette ascendance slave joue un rôle. Je suis sensible aux icônes orthodoxes que les coiffes de mes Demoiselles évoquent. Mais tout cela est très inconscient lorsque je peins, les esquisses relèvent presque du dessin automatique.

asaé : Pourquoi ne peins-tu que des femmes ?

Mariane : C’est une question de sensibilité, je pense : les femmes, ça me parle. Je ne pourrais pas peindre des hommes. Je trouve le trait pour figurer des hommes plus froid. Je m’inspire des femmes de mon entourage ou que je croise à l’occasion. Les femmes dégagent tellement de choses. Et, ça me permet de contribuer à la mobilisation pour le respect des droits des femmes.

asaé : Tu es artiste peintre inscrite à la Maison des artistes et cotée, comment es-tu passé au street art ?

Mariane : J’ai participé à trois reprises au marché du Belvédère où je vendais des bijoux dérivés de mes toiles : j’imprimais mes tableaux en miniature et scellais les motifs dans la résine. Ça m’a permis de rencontrer l’équipe du Village Jourdain. L’an dernier, ils m’ont proposé de peindre une fresque en direct pendant la fête organisée par l’association. Cette fresque se trouve sur le mur du garage à l’angle de la place des Rigoles et de la rue du Jourdain. De nombreuses personnes ont apprécié mon travail, ont pris la fresque en photo et l’ont postée sur Instagram suscitant plein de commentaires enthousiastes. Il y a eu une vraie reconnaissance de la rue. C’est à la suite de cela, que j’ai commencé à coller. Car, officiellement, peindre sur les murs est interdit sans autorisation. Contrairement aux graffeurs, je ne suis pas dans une démarche de revendication. Coller est un moyen de partager une certaine poésie alliée à la possibilité d’être repérée.

asaé : La fresque était donc ta première expérience de rue… Une démarche sitôt testée, sitôt adoptée !

Mariane : Oui, en un an, j’ai dû poser une vingtaine d’affiches. J’ai principalement collé dans les 19è et 20è et vers Bastille. Après le confinement, j’irai poser des Demoiselles dans le 18è, à la Butte aux cailles et vers Beaubourg. Au-delà de ma signature Demoiselle MM, inspirée de mes initiales, l’auréole autour de la tête de mes personnages est devenue une marque de reconnaissance, de fabrique.

asaé : Quel regard portes-tu sur le côté éphémère du streetart ?

Mariane : La rue est faite pour pouvoir découvrir, en toute liberté, des œuvres différentes chaque jour. Elles sont là mais, le lendemain, elles peuvent avoir disparu, avoir été remplacées par de nouvelles œuvres. Chacune y a sa place, mérite d’être vue et appréciée. C'est positif. Le streetart est une ouverture du monde de l'art, il casse le conventionnel des expos organisées dans les galeries renommées qui programment toujours les mêmes artistes.

asaé : Des projets ?

Mariane : Je viens de finir une commande. Il s’agit de la future jaquette du CD d’un rappeur du quartier. Je devais aussi, initialement, exposer une quinzaine de toiles à la galerie Les temps donnés, rue des Envierges. J’espère que l’expo pourra être reprogrammée après le déconfinement. Il était également prévu que j’expose avec un styliste qui mélange mode et art au festival de Cannes… Par ailleurs, un ami avignonnais a initié un collectif de streetartits de tous horizons, qui doit intervenir le 3 juillet, jour du « non lancement » du festival, sur les murs de la ville pour marquer le coup. Enfin, je participe en octobre prochain au salon d’automne des Indépendants.

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